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Ensemble Lyaman

© Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

Mourchid Abdillah, Mohamed Ali Chadhouli, Mohamed Saïd, chanteurs soufis des Comores – Auditorim Antonin Artaud de la Médiathèque, Ivry-sur-Seine.

La présence de trois initiés soufis issus du collectif des Nurul’Barakat est programmée dans le cadre du spectacle Obsession(s) présenté par Soeuf Elbadawi au Théâtre d’Ivry Antoine Vitez, ils sont le lien entre les tableaux. Les représentations ont pourtant commencé sans eux, faute de visas les trois artistes manquaient à l’appel « à la suite d’une crise diplomatique entre la France et Les Comores » explique Christophe Andréani, directeur du Théâtre d’Ivry Antoine Vitez dans un article Médiapart : « Le savoir-faire et la geste de ces artistes-là sont uniques, car ils ont su préserver leur tradition authentique, en refusant tout reformatage en vue de commercialisation ou de tournée mondiale. Ils ne peuvent donc absolument pas être remplaçables… » Leur arrivée fut décalée.

Dirigé par Mourchid Abdillah, le collectif a mis les bouchées doubles et a rejoint le spectacle. Il a aussi donné un récital à la Médiathèque d’Ivry en partenariat avec le Théâtre et le Conservatoire municipal de la ville qui l’a inscrit dans sa Saison musicale. Les trois chanteurs ont pris place, assis sur des troncs d’arbres. On les trouve habituellement dans un grand collectif qui fait cercle. Le rythme est donné par le souffle, une technique très particulière des Comores, il n’y a pas d’instrument de musique. Les chanteurs portent une djellaba blanche bordée de liserés or, ils sont pieds nus et coiffés d’un tarbouche.

« Le soufisme repose sur deux idées essentielles : la conviction que le Coran possède un sens caché qui complète son message apparent et la nécessité d’en faire une lecture intériorisée pour favoriser l’élévation spirituelle des musulmans » écrit Thierry Zarcone dans un ouvrage qu’il lui a consacré, les plus grands poètes du monde musulman ont une appartenance soufie

Les chanteurs ici déclinent leurs mélodies en trio, duo, ou parfois en solo. Un son circulaire en enchaîne un autre, le chant choral se décale de quelques petites notes avec reliefs et demi-tons. Accélérations, décélérations, variations, superpositions. Les chanteurs se répondent et se fondent dans les notes qui arrivent, jusqu’à l’essoufflement. Ils racontent. Harmonies, psalmodies, expressivité, nostalgie, appel. Les corps s’inclinent et se balancent, les mains sur les genoux marquent le tempo, parfois se joignent ou sont en position d‘accueil. Imploration, supplication, adresse, injonction, chacun entre dans la gestuelle à son rythme. L’un commence et appelle les autres dans l’expression de leurs solitudes intérieures. Parfois un regard furtif glisse vers l’autre. Une belle puissance, comme un chœur, comme un cri, se dégage de cette psalmodie coranique, les voix sont invocations. Puis ils se lèvent et à la fin dansent comme en un seul corps. Les mouvements sont circulaires, codifiés, ils sont impulsions, contemplation, expérience mystique, émotion esthétique.

Brigitte Rémer, le 18 novembre 2018

Vu le 17 novembre à l’Auditorim Antonin Artaud de la Médiathèque, Ivry-sur-Seine – Le spectacle Obsession(s) sera présenté du 5 au 8 décembre 2018 avec l’Ensemble Lyaman au Théâtre Studio d’Alfortville – 16 Rue Marcelin Berthelot – 94140 Alfortville – Dans le cadre des Rencontres Charles Dullin. Tél. : 01 48 84 40 53 – www.lestheatrales.com

Obsession(s)

© Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

Texte et mise en scène Soeuf Elbadawi, Compagnie O Mcezo* – Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin.

Soeuf Elbadawi est né à Moroni, dans l’archipel des Comores, l’une des quatre îles posées dans l’Océan Indien, il y travaille. Avec Obsession(s) il s’empare de l’Histoire. « Ce projet naît du besoin d’interroger la fabrique coloniale, loin des mémoires dites exclusives. Il y a la volonté de retrouver le chemin d’une histoire en partage, de s’affranchir du récit mutilé d’un peuple encore sous tutelle, le mien, et de contribuer à faire tomber quelques certitudes bien établies » déclare-t-il.

Par des techniques théâtrales diversifiées comme le théâtre d’objets, la musique soufie, le jeu dramatique et le conte, l’auteur-metteur en scène dénonce avec virulence la colonisation française aux Comores. Il convoque différents personnages comme le fou, le narrateur, l’artiste, dans des rencontres-tableaux mises bout à bout en un ressassement qui vise à faire émerger l’Histoire de sa part d’ombre.

Trois hommes vêtus de blanc ouvrent le spectacle, ils représentent le chœur soufi Lyaman qui n’a pu arriver à temps à Paris faute de visa, mais qui rejoindra les représentions suivantes. On débute par un rituel. Puis André Dédé Duguet, conteur martiniquais originaire de Sainte-Marie, haut lieu de la culture Bèlè, place le décor historique dans son rôle de professeur-conférencier. Son propos est mis en débat, depuis la salle, par Leïla Gaudin, comédienne et performeuse. Soeuf Elbadawi excelle dans le rôle du fou travestit en vieille femme et Francis Monty auteur, metteur en scène et manipulateur québécois, dans la traversée des océans par objets interposés. Le rendez-vous sous-marin qu’il imagine, avec un ancêtre aquatique, le coelacanthe, est une merveille.

Dans les écrits qu’il publie depuis 2003 comme dans Obsession(s), Soeuf Elbadawi questionne l’humanité. « J’essaie d’appartenir à un monde pluriel, où tous se disent d’accord pour une décolonisation des esprits et un décentrement du regard. » Son obsession de la question coloniale lui permet de construire cette aventure multiculturelle où la place du sacré reste présente. Acteur majeur de la scène artistique aux Comores et hyper actif de l’espace francophone entre les pays de l’Océan Indien, La Réunion la France, La Martinique, le Québec, la Belgique et la Suisse, Soeuf Elbadawi est à la fois auteur, metteur en scène, comédien et chanteur. Il est engagé dans plusieurs associations théâtrales et musicales et vit entre Moroni, la capitale des Comores et Paris. Ses recherches touchent à la complexité des relations Nord-Sud et la mémoire collective, elles mettent en jeu sur le plateau la pluridisciplinarité.

L’exigence du Théâtre Antoine Vitez l’accompagne, dans son ambitieuse programmation qui « fait hospitalité à toutes formes d’expressions sensibles, savantes et populaires, qui témoignent de la diversité culturelle à l’œuvre dans une société joyeusement cosmopolite ». Des débats autour de la situation aux Comores réunissent parallèlement journalistes et anthropologues. Les chanteurs soufis de l’Ensemble Lyaman, à bon port, donneront un concert vendredi 16 novembre à midi, à la Bibliothèque Antonin Artaud d’Ivry-sur-Seine, dans le cadre de la Saison Musicale du Conservatoire municipal de la ville.

La parole de Soeuf Elbadawi rare et forte, appelle l’attention sur son archipel, les Comores, dont il écrit sa part d’Histoire. La théâtralisation qu’il en fait porte sa voix d’une manière directe, documentaire, poétique, drôle et cinglante, en dialogue avec l’équipe artistique constituée autour de lui dans la diversité des disciplines.  Sa puissance est salutaire.

Brigitte Rémer, le 12 novembre 2018

Avec André Dédé Duguet, Leïla Gaudin, Francis Monty, Soeuf Elbadawi ; avec Mourchid Abdillah, Mohamed Saïd, Chadhouli Mohamed, du chœur Soufi Lyaman – conception théâtre d’objets et manipulation Francis Monty en complicité avec Julie Vallée-Léger et pour la fabrication Chann Delisle – scénographie Margot Clavières et Julie Vallée Léger – régie générale, lumières Matthieu Bassahon.

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez les 8, 9, 12, 15 et 16 novembre à 20h, en coproduction avec Le Tarmac et le Théâtre Studio d’Alfortville, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry-Sur-Seine, métro : Mairie d’Ivry – Tél. : 01 46 70 21 55 theatredivryantoinevitez.ivry94.fr – En tournée : Théâtre Studio d’Alfortville du 5 au 8 décembre 2018, au Tarmac, du 3 au 5 avril 2019 –  D’autres dates sont à préciser.